“La petite photographie en noir et blanc et aux bords dentelés montre un jeune garçon dans une rue presque déserte. Au loin, on distingue à peine deux personnes assises devant le perron d’une maison. L’enfant a une main posée sur le guidon d’une trottinette en bois. Une des bretelles de sa salopette est tombée de son épaule. Il porte une chemise blanche dont les manches sont retroussées jusqu’au dessus des coudes. Il semble intrigué par quelque chose qu’il observe hors champ. Est-ce un insecte, une fourmilière, un chat ? Je ne sais pas. Je ne m’en rappelle pas. Ce petit garçon, c’est moi. A l’encre bleue, tout en bas de l’image, quelqu’un, sans doute mon père, a écrit “Goulette mai 56”. En voyant l’état délabré de la rue, je me demande comment une trottinette pouvait y rouler. La Goulette est une petite ville située à une dizaine de kilomètres de Tunis. Ma mère me racontait que c’est là-bas que nous passions nos vacances. Il paraît que les familles y faisaient en été un véritable exode, chargeant voitures et camions de presque toute leur maison pour meubler leurs locations de vacance.
En 1956, j’avais quatre ans. Je reviens à cette photographie que j’ai toujours gardée avec moi depuis que l’ai redécouverte. Savais-je qu’un mois plus tard je serai dans un avion qui m’emmènerait à Marseille et qu’après cette étape ma famille s’installerait pour toujours à Paris ?
Avais-je entendu mes parents en parler ?” […] M.S.
Marc Solal
Artiste, Plasticien
Marc Solal est né en 1952 en Tunisie. Il vit et travaille à Paris. Artiste plasticien, il développe, à travers la photographie ou le texte, un travail conceptuel et parfois humoristique sur la notion d’identité.
Une performance urbaine : « Plaques de commémoration de l’ordinaire » a fait le buzz en 2001. Pose de 60 fausses plaques commémoratives (3 par arrondissement) pour rendre hommage à des anonymes. Une trace de ce travail est entrée dans la collection Antoine de Galbert.