“Afin de comprendre les choses, saisir leur nature profonde, il faut que je les photographie ; les personnes, le monde qui m’entoure. J’ai commencé à l’âge de douze ans et n’ai jamais arrêté. Le jour où, à dix-neuf ans, on m’a mis un uniforme, mon appareil photo passa naturellement de la poche de mon jeans à celle de mon treillis. C’était en 1980.
Pendant mes douze mois de service militaire, j’ai photographié ma vie d’appelé. Du moins, quand je le pouvais — je ne veux pas dire quand j’en avais le droit, car c’était interdit, mais quand le moment s’y prêtait. Pas si souvent que ça, à voir la maigre moisson d’images pour une année entière. C’est qu’à l’armée, on a souvent les mains prises. Quant à la tête, n’en parlons pas.
Ce n’est donc pas un reportage ; il serait incomplet, tant manquent des aspects de ce qu’était le service militaire. Ce n’est pas non plus un travail documentaire, car il n’y a ni propos, ni angle, ni écriture. Ni reportage, ni documentaire, ce travail doit être pris pour la seule chose qu’il est : une trace. L’empreinte d’instants de vie d’un appelé. Un témoignage fragmentaire de ce moment qui constitua, deux siècles durant, une étape marquante de la vie de chaque garçon, un rituel de passage à l’âge adulte, une émancipation en même temps qu’un assujettissement à l’autorité.” […]
Philippe Graton
Photographe
Français né à Bruxelles en 1961, Philippe Graton grandit parmi des raconteurs d’histoires en images : René Goscinny, Albert Uderzo, Jean-Michel Charlier ou encore son père Jean Graton, monstres sacrés de la bande dessinée. Pas étonnant qu’il devienne lui-même scénariste et que sa pratique de la photographie, dès ses treize ans, soit toujours liée à l’écriture. Une vie de récits en textes et en images le mène des 24 Heures du Mans aux plateaux de cinéma en passant par le Vietnam, le Cambodge ou la guerre en Bosnie qu’il photographie pour l’agence Sygma.
De 2014 à 2019, Philippe Graton photographie la ZAD de Notre-Dame-des-Landes à l’argentique et note dans ses carnets la réalité de sa vie quotidienne. Un témoignage unique, différent de tout ce que l’on a pu voir ou entendre sur la ZAD.